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Les Petits Fruits de la Baie, le goût de l’enfance.

 La semaison, c’est la dispersion naturelle des graines d’une plante, c’est la contraction des mots semer et saison. SEMAISON, ce sont des milliers de graines cachées dans la terre qui n’attendent que le climax propice pour germer, c’est une plante qui émerge des fissures du béton sur un trottoir en ville. C’est semer des histoires inspirantes au fil des saisons. Des récits de vies paysannes, aux côtés de celles et ceux qui s’engagent pour un quotidien plus durable et désirable. 
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Dans la commune de La Bernerie-En-Retz, sur le littoral Atlantique, Anne-Claire Corbé cultive en Agriculture Biologique des petits fruits qu’elle vend frais aux chef.fes de la région ainsi qu’aux particuliers qui viennent cueillir les fruits directement dans le verger. Des sirops et des cuirs de fruits complètent la production et permettent de valoriser des baies peu connues du grand public telles que l’aronia ou l’amélanche.

En sortant de la gare, il faut marcher une dizaine de minutes dans une zone pavillonnaire pour arriver devant le panneau qui ouvre les portes du Domaine de la Gressière, hôtel-restaurant voisin aux Petits Fruits de la Baie. C’est ici qu’Anne-Claire a installé ses petits fruits en 2019. Elle me retrouve au portail, il est huit heures trente. Nous descendons vers le verger qui compte 3,5 hectares, cerné par les habitations et par un camping qui se réveille en cette matinée de printemps. La mer se dévoile à l’horizon et une légère brise souffle sur les lianes de mûres en fleurs. Albane et Elise, saisonnières à la ferme, sont déjà dans les champs. Elles récoltent les camerises, ou plutôt le peu de baies que les oiseaux ont laissé. Petit fruit à la couleur bleue et aux feuilles duveteuses, la camerise, aussi appelée chèvrefeuille comestible, se rapproche au goût d
e la prune, avec un peu plus d’acidité.

Nous cheminons entre les rangs fruitiers. Anne-Claire me raconte son parcours, de ses grands-parents agriculteurs, à ce terrain, situé sur la commune de La Bernerie-En-Retz. Avant de devenir paysanne, Anne-Claire a travaillé une vingtaine d’année dans les ressources humaines « J’avais cette envie à la fois de travailler avec mes mains, de voir le résultat de mon travail (parce

que dans les RH on ne le voit pas toujours tout de suite) et puis j’avais surtout envie d’être dehors. J’habitais dans une commune viticole, je voyais les viticulteurs travailler tôt le matin et je me disais : la chance qu’ils ont, je vais aller m’enfermer… C’est tout ça qui m’a préparé à changer de vie ». En 2017, Anne-Claire démissionne et réalise des missions intérimaires chez un maraîcher pour se tester sur l’activité. Elle poursuit avec une formation à la chambre d’agriculture, pendant un an, qui lui permet d’affiner son projet. « Au départ, j’avais envie de cultiver les légumes anciens, mais il faut savoir qu’il y beaucoup de rotations dans le maraîchage. Ça veut dire que ce que l’on fait une année, il faut le recommencer sans cesse. C’est encore plus physique que l’arboriculture petits fruits et j’avais le désir de commencer toute seule. Donc je me suis dit que l’arboriculture était plus en adéquation avec mes capacités physiques et mes envies ». Le choix du lieu ? Un terrain qui appartenait à la famille de son mari, dont le père était viticulteur. L’ancienne cave, qui abrite aujourd’hui les réserves de sirop, témoigne du passé viticole de ce lieu. La parcelle qu’elle entretient n’était en revanche pas cultivée, elle servait de pâturage aux animaux. Le terrain compte quatre espaces de plantations « Dans chaque bloc de plantation il y a des haies. Ça fait brise-vent, rupture sanitaire, ça accueille les auxiliaires. Ça joue un rôle très important et je n’ai pas mis toutes les cultures par variétés. Par exemple, on peut trouver des framboises ici, mais on a un autre rang de framboises un peu plus loin ». Une manière d’éviter le parasitisme entre les rangs. Nous marchons près des mûres, de variété « Loch Ness » « c’est le fruit qui se rapproche le plus du goût de la mûre sauvage. On arrive à avoir des fruits avec du goût surtout quand ils sont en Agriculture Biologique et en pleine terre, mais on est un peu éloigné du fruit sauvage. La mûre sauvage a plus de goût que n’importe quelle autre mûre ».

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Cultiver en pleine terre, en extérieur, une pratique de moins en moins appliquée par les exploitant.es agricoles, d’autant plus quand on touche à la culture des fraises. Ce ne sont pas moins de 55 000 tonnes de fraises qui sont cultivées hors-sol* chaque année en France, une pratique interdite dans le cahier des charges AB. Au début du projet, Anne-Claire n’envisage pas de cultiver ce fruit « La fraise c’est un fruit qui demande beaucoup d’entretien. Il faut désherber, couper les stolons, cueillir très régulièrement, et en plus on est au sol. Si on veut un fruit qui a du goût, il faut qu’il soit en pleine terre, de préférence en plein air ». Mais la demande est trop forte « la première demande des particuliers et des professionnels c’est la fraise. S’il n’y a pas de fraise, ça ne fonctionne pas. C’est vraiment un produit d’appel ». Sur les filets qui protègent les fruits rouges des oiseaux, un escargot semble vouloir se frayer un chemin pour, lui aussi, goûter aux fraises cultivées par Anne-Claire. Plusieurs variétés se côtoient : de la fraise Manille, très charnue et sucrée, à la Ruby des Jardins, plus petite, allongée et acidulée. « Je passe beaucoup de temps dans mes fraisiers. C’est le produit que je vends le moins cher parce qu’il faut garder une cohérence par rapport aux prix du marché, mais c’est vrai que quand on sait les heures de travail que ça nécessite, et qu’on trouve des fraises d’Espagne à moins de 5 euros le kilo … Mais je ne regrette pas » nuance-t-elle. Il faut beaucoup de main d’œuvre, de temps et de délicatesse pour ramasser chaque fruit précautionneusement, entretenir les fraiseraies et les vergers. Ça justifie un prix qui ne pourra jamais atteindre celui de cette barquette de fraises espagnoles vendue dans les supermarchés, cultivée sous des serres à perte de vue, avec beaucoup de traitements chimiques, par une main d’œuvre immigrée et exploitée.

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Ses fruits, la paysanne les vend en majorité aux professionnels de la restauration de Loire-Atlantique « quand je cueille et que j’apporte une cagette de fruits au restaurateurs, je vois leurs yeux qui pétillent » dit-elle avec malice. Anne-Claire propose également aux particuliers de venir cueillir directement les fruits à la ferme. En ce moment, ce sont les fraises qui font le régal de la clientèle. Bientôt, ce sera au tour des framboises, des groseilles et des cassis, puis des mûroises, un fruit entre la framboise et la mûre à la robe rose déjà presque pourpre en cette fin de printemps. « Les personnes qui ont passé la cinquantaine adorent venir cueillir les groseilles parce qu’elles en avaient dans leur jardin ou que leurs parents en avaient dans leur jardin. La jeune génération, elle, découvre ce fruit parce qu’on en trouve pas dans les magasins ». Ces visites hebdomadaires sont des occasions de partage pendant lesquels Anne-Claire se plait à raconter chaque fruit, comme ces groseilles roses de variété Gloire des Sablons qui, dit-elle, ressemblent à des perles.

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Quatre ans après son installation, l’agricultrice ne se rémunère pas encore, elle paye ses charges et les saisonnières. Il faudrait produire quatre tonnes de fruits pour arriver à l’équilibre de la ferme, l’an dernier elle en a récolté une tonne deux. Un chiffre à nuancer avec le temps de croissance de certains arbustes à baies, qui mettent plusieurs années à devenir productifs, et avec cet été 2022 « l’année dernière a été une année très particulière : pas d’hiver, une sécheresse, donc une production un peu aléatoire. Cette année ça a l’air beaucoup mieux, donc on va s’en réjouir ». Pour valoriser ses fruits, Anne-Claire produit également des sirops, « Il faut savoir que si on veut utiliser la dénomination sirop, la réglementation dit qu’on doit mettre 55% de matière sucrante et 10% de fruit. Le reste, il y en a qui mettent de l’eau, d’autres des conservateurs, d’autres des colorants, ça dépend du processus de fabrication. Dans les miens je mets les 55% de matière sucrante et tout le reste c’est du fruit ». Depuis l’an dernier, elle développe également une gamme de cuir de fruit, de la pulpe de fruit déshydratée. Un procédé de conservation pour retrouver le goût de l’été tout au long de l’année. La transformation des produits permet également de mettre en valeur des fruits plus méconnus du grand public comme la baie d’aronia, le fruit de l’amélanchier ou encore la baie de goji. « Il y a un vrai travail d’accompagnement à faire avec la baie de goji. Le goût de la baie de goji fraîche, c’est d’abord un petit peu de sucre, et ensuite une petite amertume en fin de bouche, c’est assez surprenant. Plus on en mange, moins on a cette amertume, il faut l’apprivoiser. ». En cette fin mai, les goji n’ont pas encore déployé leurs fleurs violettes, elles viendront clore la saison aux côtés des kiwis. Au centre du terrain, on entend les grenouilles coasser dans la mare creusée par l’agricultrice là où la terre était trop spongieuse pour implanter des arbustes. Elle laisse les herbes sauvages pousser tout autour, des fleurs de toutes les couleurs y prospèrent au grand plaisir des insectes butineurs qui arrivent en masse dans le jardin à mesure que le soleil monte dans le ciel, il est bientôt dix heures. Anne-Claire part désherber et re-pailler les aronias pendant que je me balade en quête de coccinelles à photographier, Elise m’a indiqué qu’il y en avait beaucoup sur le terrain, précieuses alliées contre les pucerons, un lieu vivant. Je la retrouve d’ailleurs au fond du terrain, elle écrit sur des panneaux le nom de chaque variété. Elle fait face aux kiwaïs, petits kiwis à la peau lisse dont la liane croit le long de hauts tuteurs. Nous sommes tout près du camping, quelqu’un prend sa douche pendant qu’Albane désherbe juste à côté. Je demande à Anne-Claire si cette proximité avec les habitations et les installations touristiques n’est pas dérangeante, elle me répond « c’est une chance finalement, j’aime bien. Ça ramène de la vie et, même si on est en bord de mer et qu’on ne manque pas d’air, [la ferme] apporte un petit lieu de biodiversité qui est intéressant ».

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Je remonte le terrain en tournant le dos à la mer, je me rapproche du château. Au bruit de mes pas, les oiseaux qui glanent baies, insectes et paillis pour construire leurs nids s’envolent. Les deux brebis qui partagent le terrain avec les fruitiers me regardent, intriguées par cette étrangère bruyante qui fait  « clac », le son du miroir de mon appareil photo. Avant de reprendre le chemin de la gare, nous goûtons quelques sirops à la cuillère. Ils sont épais, dû au pourcentage élevé de fruit. Je me délecte du sirop de cassis, puissant, celui de kiwaï, doux et parfumé, puis la régressive groseille qui me fait retomber en enfance instantanément : le jardin de ma grand-mère, les après-midi passés à y dévorer des groseilles rouges et blanches avec ma cousine, un sourire.

Les Petits Fruits de la Baie, enracinée dans son merroir de Loire-Atlantique, nous invite à retrouver le goût de l’enfance, cette magie des cueillettes de fruits rouges qui apparaissent tels des trésors une fois le printemps installé. En passant le portail de la ferme pour croquer dans une fraise juteuse, on se laisse surprendre par d’autres variétés de baies, autrefois consommées mais oubliées du grand public après les années 1950, au moment où l’agriculture intensive a insisté avec son rouleau compresseur pour standardiser notre alimentation. On redécouvre l’acidité de la groseille à maquereau qui explose dans la bouche, l’astringence de l’aronia, la douceur de la framboise qu’on laisse fondre sous le palais, le plaisir de plonger la cuillère dans un kiwi français et, bientôt, le goût si particulier du feijoa qu’il faudra apprivoiser.

 

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*Les fraises hors-sol sont généralement cultivées en hauteur, dans un substrat composé de fibres de coco ou d’écorces de pin, les plants sont alimentés en minéraux par l’eau d’irrigation. Les industriels s’en servent pour éviter les maladies possibles au sol ainsi qu’une moins grande pénibilité de récolte à hauteur, au détriment du goût de la fraise et de son impact sur l’environnement.

Sources : https://www.franceagrimer.fr/fam/content/download/70845/document/BIL_FEL_Chiffres_cles_Fruits%26Legumes_2021.pdf?version=3
https://www.produire-bio.fr/articles-pratiques/produire-des-petits-fruits-rouges-en-agriculture-biologique/
https://www.mediapart.fr/journal/international/270523/zahra-morte-pour-quelques-fraises-espagnoles

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