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La chaise rouge, cultiver les liens en Anjou.
La semaison, c’est la dispersion naturelle des graines d’une plante, c’est la contraction des mots semer et saison. SEMAISON, ce sont des milliers de graines cachées dans la terre qui n’attendent que le climax propice pour germer, c’est une plante qui émerge des fissures du béton sur un trottoir en ville. C’est semer des histoires inspirantes au fil des saisons. Des récits de vies paysannes, aux côtés de celles et ceux qui s’engagent pour un quotidien plus durable et désirable.
Au départ il y avait une ferme, une bâtisse construite au Moyen-Age qui fut le lieu de vie et de travail de quelques moines. Au XXème siècle elle fut transformée en bergerie puis la bergerie laissa place à une auberge: l’auberge de l’Herberie. C’est en 1992 qu’elle croise le destin de Patrick Cosnet, ancien éleveur devenu acteur. Il amena à l’Herberie ses pièces de théâtre jouées sous les chênes, une partie de l’ancienne bergerie se transforma alors en théâtre rural. L’Herberie laissa place à de nouveaux propriétaires, Xavier et Marie-Pierre, qui reprirent l’auberge, cultivant des légumes pour sourcer au plus près les produits servis à table, le cheptel de moutons fut repris par leur fille Bernadette. Mais Xavier avait en tête la création d’un centre équestre avec la volonté d’y accueillir des personnes en situation de handicap. Entre les champs et les chevaux, le couple décide de céder l’auberge au cuisinier Pierre Cordier.
Au fil des années d’autres personnes se sont intégrées au projet: Julie, qui a repris le centre équestre, puis Emeric, maraîcher, qui s’est installé en 2018 après s’être rendu compte qu’il avait plus d’impact sur l’environnement en travaillant dans l’agriculture que dans une réserve naturelle, destin tracé par son master en biologie et écologie. (En 2011, sur 55 millions d’hectares que compte la France, 28 millions sont occupés par les activités agricoles*). Aujourd’hui, une réelle volonté de créer un collectif se met en place pour valoriser au mieux les produits de la ferme et les activités de chacun, travailler à rendre le lieu pluriel pour devenir plus résilients face aux bouleversements climatiques et sociaux à venir « Sur les petites surfaces, tu peux plus te permettre d’être résilient et d’accueillir la biodiversité à bras ouverts que sur des hectares de betteraves aux néonicotinoïdes autorisés » me dit Emeric quelques jours après le vote du projet de loi ré-autorisant l’utilisation de ces pesticides tueurs d’abeilles, nocifs pour l’environnement, dans les champs de betteraves à sucre.
Depuis qu’il a posé son semoir à la Chaise rouge, le Maraîcher œuvre à atteindre un certain équilibre sur ses parcelles grâce à la biodiversité environnante: Afin de représenter la pluralité du territoire, il a posé des nichoirs étudiés pour accueillir différentes espèces d’oiseaux, un tas de bois jonche le terrain à côté de la mare qu’il a creusé, on y trouve des hérissons, des belettes, des rapaces, des grenouilles et autres insectes. Il est relié à une haie qui vient d’être plantée pour que les animaux puissent circuler sur toute la parcelle de maraîchage en circuit fermé. Enfin, le sol n’est pas labouré, il est uniquement aéré et surélevé pour contrer sa structure hydromorphe de base et abriter plus de vie. « Le but c’est de se faire plaisir parce que j’aime les animaux, mais c’est aussi de créer mon studio photo pour pouvoir tomber sur des insectes et prendre des photos quand j’en ai le temps » dit le passionné de photographie animalière. Je me balade sur les parcelles, je goûte chaque variété de tomates, gorgées de soleil, toutes meilleures les unes que les autres. Emeric utilise des semences paysannes, pour leur goût et leur adaptabilité au terroir local plus que pour leur productivité. Entre les plants, une bande fleurie. Je vais y cueillir des plantes pour aromatiser mes repas: de la coriandre se mêle au sarrasin, au fenouil ou à la bourrache, ici elles sont utilisées comme engrais vert.
Cette démarche ne saurait exister sans les notions de solidarité qui se dégagent du lieu. Emeric rejoint cette année le programme de compagnonnage en maraîchage agroécologique Fermes d’avenir qui oeuvre à former des jeunes aux bonnes pratiques agricoles et faciliter l’intégration socioprofessionnelle de personnes réfugiées. À la Chaise rouge, ils viennent en majorité avec des projets de fermes collectives en tête.
La solidarité, l’accès à la culture pour tous, c’est aussi le créneau de Julie, professeure d’équitation qui oeuvre à rendre le lien avec le cheval accessible à tous. Par une journée d’été ensoleillée, Julie accueille deux personnes en fauteuil roulant. Les poneys à la main, son chien Pony de l’autre, elle
les place face à eux et les accompagne à se connecter aux animaux. La bienveillance est de mise, pas question de brusquer qui que ce soit. Il y a quelque chose de bouleversant à observer humains et animaux s’apprivoiser et apprendre à se connaitre, par le toucher, l’odorat, par un jeu de regard. La communication semble fluide, l’apaisement mutuel. Il y a chez le cheval une grande sensibilité qui m’a toujours fasciné, je me suis d’ailleurs toujours sentie plus à l’aise à leurs côtés qu’au contact des Hommes, moi qui ai toujours été « trop » émotive. Ce n’est pas pour rien si les équidés sont largement utilisés pour guérir certaines pathologies, cela s’appelle l’équithérapie.
Julie c’est aussi l’arche de Noé. On retrouve dans sa ferme pédagogique un certain nombre d’animaux: des poules, des moutons, des chèvres, des lapins, et même un cochon, Turbo, pour le plus grand bonheur des clients de l’auberge.
Plein de destins se croisent ici: un groupe au projet collectif venu visiter la ferme l’espace d’une journée, Pierre et sa compagne Lucie qui ont construit et posé leur tiny house en face du pré des chevaux et même Florian et Mickaël, un couple parti il y a deux ans à l’aventure en roulotte, avec deux chevaux, deux chiens et un chaton sous le nom Roulopa. À travers la France, ils sèment leur mode de vie alternatif et décroissant en créant du lien social au gré des rencontres. L’espace d’une soirée, ils offrent aux membres de la Chaise rouge une séance de cinéma en plein air après un joyeux dîner partagé: un beau moment de partage.
À la Chaise rouge, toutes les activités se mêlent pour former un grand tout dans lequel chacun peut trouver sa place. Intégrer l’autre, quel qu’il soit, voilà l’éthique qu’on retrouve dans chaque pôle de cette ferme pas comme les autres. On aurait envie d’y vivre dans ce corps de ferme, d’aller semer des légumes avec Emeric, de galoper autour du lac avec Julie, d'étudier les étoiles et compter les oeufs avec Bernadette (d’ailleurs quand elle vérifie ses oeufs, on verrait des constellations partout) et aller diner leurs productions à l’auberge, avant de rire et pleurer devant les création de la compagnie Patrick Cosnet. Et puis pourquoi pas, juste, s’allonger dans l’herbe, regarder ce qui se cache dedans et sentir l’air frais s’engouffrer dans les narines au fil des inspirations. Il y a fort à parier que vous y verrez la bienveillance et l’engagement que chaque être met dans la préservation de ce lieu hors du temps.
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