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La Blain Belle Ferme, Brebwell et Brebis Belle-Île.

 La semaison, c’est la dispersion naturelle des graines d’une plante, c’est la contraction des mots semer et saison. SEMAISON, ce sont des milliers de graines cachées dans la terre qui n’attendent que le climax propice pour germer, c’est une plante qui émerge des fissures du béton sur un trottoir en ville. C’est semer des histoires inspirantes au fil des saisons. Des récits de vies paysannes, aux côtés de celles et ceux qui s’engagent pour un quotidien plus durable et désirable. 
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C’est à Saint-Omer-De-Blain, à la croisée du canal de Nantes à Brest que Camille vient de reprendre les rênes de la Blain Belle Ferme. Une ferme de 28 hectares ponctuée de haies bocagères sur laquelle paissent des brebis de Belle-île, une race ovine locale et rustique élevée pour son lait qu’elle transforme en yaourts et en fromages. La passion pour sa nouvelle vie paysanne bien accrochée, elle a récemment accueilli quatre génisses de race Jersiaise et Bretonne pie noir qui, à terme, diversifieront la gamme de produits de la ferme. 

Fin janvier, il est huit heures du matin. La nuit est encore bien installée et le ciel d’un bleu profond. Dans la bergerie, Camille, son compagnon Youenn, et Dorian, stagiaire à la Blain Belle Ferme, baguent les nouveaux nés de la nuit. L’agnelage lance la saison de production fromagère, une période décisive pour l’éleveuse. Cette nuit, deux agneaux sont nés, leur cordon ombilical est encore rouge et frais. Camille en profite pour vérifier que la mère est en bonne santé, un équilibre à trouver entre agir et laisser faire. Dans la case d'agnelage, elle l’assied, en profite pour parer ses pieds et regarde ses mamelles. Les deux petits tètent sur le même pis, l’autre est enflé. Elle sort à la main un peu de colostrum, le premier lait ingéré par les agneaux à la naissance, jaunâtre, riche en protéines et en anticorps. 

C’est la fin de la trêve automnale me dit Camille. C’est aussi sa première année en tant qu’exploitante agricole, un terme qui ne lui plait pas tellement « ici, on exploite personne » dit-elle. L’an dernier, elle a pris la suite de Caroline, ancienne propriétaire des lieux.

Pour faciliter la transition, Camille a effectué une année de portage d’activité sur la ferme en tant que stagiaire paysan créatif auprès de la CIAP (Coopérative d’installation en agriculture paysanne) qui l’a accompagné. Cette année lui a apporté de la souplesse, « J’ai pu faire les ajustements au niveau des volumes de production, de quel produits j’avais envie de faire. Ça m’a permis de me caler pour cette année, d’être confiante et de voir où j’allais avec un peu plus d’expérience que si j’avais repris du jour au lendemain ».

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Si avant d’être paysanne, Camille a suivi des études d’ingénieure agronome, elle connaissait déjà la bergerie du haut de ses 13 ans, apprenant à traire à la main et à transformer le lait de vaches et de brebis dans les Pyrénées. Après plusieurs stages et une entrée dans le salariat, l’envie de reprendre la fourche se fait sentir. « Les choses avancent en passant de la terre à l’assiette plutôt qu’en remplissant des dossiers pour des projets qui sont certes très chouettes, mais à mon âge, avec mon énergie, j’avais plus envie de me mettre en action. Et, peut-être plus tard, le partager, enseigner… J’aime transmettre. ». Elle tente de reprendre une ferme en vaches laitières en Bretagne, où elle a rencontré Youenn, son compagnon et depuis peu conjoint collaborateur. C’est finalement à Saint-Omer-de-Blain que le couple pose ses valises, recréant le cheptel de brebis au fur et à mesure « une race de brebis locale c’est ce que je cherchais » m’explique Camille. 
Depuis, elle regarde le soleil se lever de la bergerie avec la même admiration chaque matin « on prend du plaisir, c’est important aussi ». Aujourd’hui, l’aube est teintée de rose. Plus le soleil s’éveille des bocages, plus des reflets rouges se créent au fond de la bergerie. Dans la paille, les jeunes agneaux courent partout, sautent sur leurs mères sous l’oeil curieux de Popeye, un âne du Berry. 

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C’est déjà l’heure de la traite, la deuxième de l’année. Il faut encore mener les primo-allaitantes sur le quai, le temps qu’elles s’habituent à la manoeuvre. Youenn distribue un peu de grain pour appâter les brebis pendant que Camille installe son pot à lait. Elle nettoie les mamelles et la traite démarre au son de la pompe à air. Huit par huit, les brebis se succèdent sur le podium à mesure que le soleil monte dans le ciel, éclairant le quai. Camille prend le temps de me montrer chaque geste, de me raconter ses brebis. Certaines ont une robe brune. Un ancien croisement avec des moutons d’Ouessant, me dit Camille. Les Belle-Île sont blanches ou noires, parfois mouchetées. Elles sont croisées avec les Lacaune, plus productives en lait. « Il y a très peu de brebis de Belle-Île laitières, donc le compromis qu’on a trouvé c’est de les croiser avec une race plus productive en terme de quantité. Après à voir si on est vraiment gagnant ou pas, je ne sais pas…». 

La traite va vite, les brebis donnent encore peu de lait, priorité aux agneaux. 6,5 litres ce matin, c’est plus qu’hier. Elle vide le contenu du pot en inox encore chaud dans un pot à lait qui sera travaillé le lendemain. Nous partons en fromagerie. Les premiers fromages sont retournés, salés, démoulés. Dans un seau, le fromage blanc de la veille. Camille, un t-shirt « race belle-île » sur le dos, en sort un peu. Elle en mesure l’acidité dornic pour vérifier s’il est prêt, puis elle en prélève un pot, il servira à ensemencer les prochains yaourts, levain indigène aux typicitées de la ferme. Cette année, c’est du Brebwell qu’elle développe, une sorte de Gwell fabriqué avec du lait de brebis. Le Gwell ? « Dans les périodes où je n’étais pas bergère, l’élevais du Kéfir de lait, et c’est une boisson que je buvais régulièrement, avec des bactéries, des ferments lactiques … En arrivant en Bretagne, j’ai trouvé du Gwell, c’est un produit au lait de vache de races locales, avec un ferment indigène. Pour moi il n’y a pas de hasard dans la nature, les arbres qui poussent ici ont une raison de pousser ici et les ferments qui grandissent ici ont une raison aussi. ». Ce Brebwell, elle l’ensemence une première fois avec un Gwell de vache de la Ferme des 7 chemins, à Plessé, ça donne un gros lait de brebis dont le goût évolue au fil des saisons et de l’alimentation des ovins « c’est délicieux, un peu acidulé, super sucré », un produit de terroir qu’elle utilise aussi pour ensemencer certains fromages comme les tomes et les Breblochons. « C’est un bijou du passé » me confie Camille. Une gamme de crème fraiche de brebis, va également voir le jour cette année.

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Nous partons vers les prairies tandis que Youenn et Dorian donnent le biberon aux agneaux qui n’arrivent pas à téter. « Il y a plein de haies ici. C’est ce qui m’a fait tomber amoureuse de la ferme ce beau chemin creux avec les arbres tortueux, plein de haies, plein de fragons, du petit houx dans les haies, c’est super joli » me dit Camille. Elle s’arrête en chemin. Ses yeux pétillent à la vue d’une flaque d’eau dans un bocage, s’y reflètent les branches nues d’un arbre et le bleu du ciel, elle prend une photo. « Je suis amoureuse de la nature et ça me rend hyper fleur bleue. Je m’émerveille très facilement et avec les haies, il y a tout le temps des surprises ». Cette chouette qui habite dans le chêne près du mobile-home ou encore un pivert qu’elle croise régulièrement. Mais les arbres ne sont pas que contemplation, ils participent pleinement à la santé des animaux et des écosystèmes de la ferme. « Nos bêtes mangent certes de l’herbe, mais aussi des feuilles, des branches, des écorces… Elles se nourrissent de tanins et les tanins c’est anti-parasitaire. C’est un équilibre qu’elles trouvent et elles régulent leur flore intestinale. » m’explique-t-elle. En montant vers les prairies hautes pour aller voir les vaches, nous traversons plusieurs prés aux piquets en bois de châtaignier. Les pâturages sont tournants, le couple attend six semaines avant de refaire pâturer un animal dans un champ et les différents mammifères tournent sur les parcelles. Une manière de réduire les risques de parasitisme sur les animaux, mais aussi de valoriser les prairies. « C’est intéressant qu’il y ait plusieurs espèces dans le lieu, elles vont se compléter. Ce que les brebis vont manger en premier et surtout laisser, ça va intéresser les vaches. ». Elle précise, « le rumen d’une brebis est fait pour quelque chose de plus tendre, le haut de la feuille, et la vache va manger plus de cellulose et plus ligneux, ça se complète super bien. Et en terme d’excréments aussi, le fumier de vache est plus équilibré que le fumier de brebis qui a plus d’azote ». En s’enrichissant grâce aux déjections animales et aux feuilles qui se décomposent au sol, la flore développe des racines plus profondes, permettant de mieux stocker l’eau dans le sol. C’est le bénéfice de ce système agro-sylvo-pastoral dans lequel tout se transforme. Nous arrivons vers Saphir la Jersiaise, Suzie la Bretonne mais aussi Joséphine l’ânesse au ventre rond, annonçant la naissance prochaine d’un petit. Une ferme multi-espèce. Des cochons, des poules et des oies ferment le cercle en récupérant les déchets de cuisine et le petit lait de la fromagerie.

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La journée se termine par le marché de la ferme. En plus de ses produits, le couple y vend des pains, fromages de vaches, céréales et autres légumes des paysan.nes voisin.es. Les curieux en profitent pour aller faire un tour dans la bergerie, les enfants heureux de caresser les agneaux, un lien indispensable pour responsabiliser les consommateur.ices, une étape importante pour voir le travail accompli par l’éleveuse et son ami. « On fait des compromis avec l’abattoir, oui, mais au moins on sait qu’ici les animaux voient le jour. Ils mangent de l’herbe, on leur fait des câlins, on les considère et ils ont une vie d’animal jusqu’à être transformés. Ils n’ont pas une vie de machine, de pion ». D’ailleurs, Camille passe du temps assise dans la bergerie. « On créé du lien. Moi ça me plait de savoir que le matin je me lève pour aller voir comment vont Clochette, Grenouille et leurs petits. C’est plus humain et ça me motive plus que d’aller soigner 230 vaches laitières qui n’ont qu’un numéro. Mieux les connaître individuellement, c’est savoir laquelle va se mettre à boiter en premier dans la saison, donc on a l’œil particulièrement sur elle et on va être attentifs. Elle va nous aider à prévenir sur le reste du troupeau. Ça nous permet aussi de voir quelles agnelles on a envie de garder pour nous, quelles agnelles conviendraient mieux pour l’écopaturage, la médiation animale, parce qu’on a des animaux très proches de nous. Et l’idée c’est de vivre avec ces individus, les élever et leur faire passer du bon temps. ». 

Des projets, il y en a plein : des mares, encore des haies pour apporter toujours plus diversité dans cet écosystème, « une Blain Belle Ferme, une ferme où ça fait plaisir aux yeux. On sent que c’est vivant et on sera heureux de transmettre ça plus tard. ». Le but ? « Inviter des gens à

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manifester leur envie de s’installer aujourd’hui, parce qu’il y a plein de terres qui sont entrain de vivre des destructions ». Le jour descend, le coq Pete se balade entre les client.es, Popeye braie pour avoir des caresses et les éleveurs sont déjà repartis donner du foin aux brebis et un biberon aux agneaux les plus frêles. Je reprends le bus en observant les premières étoiles qui se dessinent dans le ciel. Ce soir-là, je m’endors des souvenirs lactés plein la tête, des ferments indigènes plein l’estomac et la passion de Camille comme fer de lance d’une paysannerie qui retrouve ses origines étymologiques, les mêmes que celles du mot paysage.

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