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Les clairières d'Uther, grandes cultures sur petite surface.

 La semaison, c’est la dispersion naturelle des graines d’une plante, c’est la contraction des mots semer et saison. SEMAISON, ce sont des milliers de graines cachées dans la terre qui n’attendent que le climax propice pour germer, c’est une plante qui émerge des fissures du béton sur un trottoir en ville. C’est semer des histoires inspirantes au fil des saisons. Des récits de vies paysannes, aux côtés de celles et ceux qui s’engagent pour un quotidien plus durable et désirable. 
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Depuis 2021, dans le village de Larré (Morbihan), les clairières du lieu dit « Le Château » ont revêtu des habits jaunes flamboyants. C’est ici qu’Edouard Chauviré, ancien maître d’œuvre nantais, a posé ses outils pour devenir paysan moutardier. De la graine au vinaigre, le jeune paysan maîtrise tout pour proposer une moutarde entièrement bretonne, conduite en Agriculture Biologique et sur petite surface. 

 J’arrive chez Edouard un matin du mois de juin. À vélo, je traverse la campagne qui sépare la gare de Questembert du village de Larré. La ferme est située en contre-bas, cernée par les arbres. Je suis accueillie par une chèvre, une poule et Flicka, une chienne plutôt âgée. Toutes trois surveillent les allées et venues, elles étaient déjà là quand Edouard a acheté la ferme. Il sort de la longère en pierres, grand, cheveux bouclés, tout sourire, il me propose un café. Pendant que la boisson chauffe dans une cafetière italienne, le jeune paysan rentre dans le vif du sujet « aujourd’hui ce qui m’anime, c’est d’essayer de préparer la résilience alimentaire territoriale collectivement ».

Investi dans la vie locale, il fait partie de plusieurs groupements paysans du Morbihan dont un magasin de producteur·ices à Questembert, L'Halle Terre Native, qui inaugure sa nouvelle boutique dans le centre-ville le jour même. S’investir dans des associations paysannes lui a permis d’acquérir un sentiment de légitimité lors de sa reconversion. « Il y a toujours le syndrome de l’imposteur quand tu te lances dans l’agriculture alors que tu n’y connais que dalle.

Et donc, pour devenir paysan, il y a plein de trucs à cocher. Au début, je cochais avoir le bronzage paysan, ne plus avoir d’argent, la première moisson. Tu peux cocher plein de trucs, et les collectifs de paysans qui bossent ensemble en faisaient partie ». Il poursuit  « Faire de l’agriculture c’est politique. Il vaut mieux être nombreux, rassembler des idées pour avancer ensemble, et transformer massivement l’agriculture actuelle ». 
Si Edouard savait qu’il ne voulait pas faire carrière dans le bâtiment, il n’imaginait pas un jour cultiver et transformer de la moutarde. Il entame un BTS production horticole en 2018 puis trouve cette longère, ancienne ferme dont les prairies n’accueillaient plus que des chevaux ces dernières années. Il s’intéresse ensuite au principe de permaculture « j’ai le profil du bobo urbain qui voulait faire de la permaculture en micro-ferme », s’amuse-t-il. Finalement, c’est le grain soufré qui le rattrape, « faire des légumes alors qu’il y a des tas de super maraîchers dans le coin, jamais je n’aurais rattrapé leurs dix ans d’expérience. Si tu es tout seul, tu n’as pas de concurrence. C’est pour ça que j’ai fait de la moutarde ». Il se lance alors dans un tour de France de la moutarde en wwoofing, mais les rares personnes qui produisent encore cette graine de la famille des brassicacés lui ferment les portes. Aujourd’hui, plus de 80% des graines transformées en France proviennent de l’étranger, majoritairement du Canada. « Ils utilisent des pesticides qui sont interdits en conventionnel en France. En France, on a le droit de mettre des produits dégueulasses quand on est pas BIO et il y en a certains, ils sont tellement dégueulasses qu’on se dit “non quand même pas ça”. Mais là bas, aucun problème. » Les rendements y sont très élevés, le prix à la tonne défie toute concurrence Française. 

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Sur sa ferme, Edouard cultive cinq hectares de moutarde, jaune et brune, entourées par une zone forestière. À son arrivée, il en a soutiré de la sève de bouleau pour créer un revenu en attendant que les fleurs jaunes arrivent à maturité. Téméraire, il désherbe à la main ses champs en début de culture, il se plait à dire qu'il fait des grandes cultures sur petite surface « je suis sous-dimensionné en terme de bâtiments agricoles. Ici, je fais avec ce que j’ai, c’est vraiment un de mes leitmotive. » Le paysan aimerait toutefois acquérir plus de terres, pour faciliter les rotations de culture, la moutarde pouvant croître sur une parcelle une fois tous quatre ans. Les autres années, il sème des blés pour le boulanger du coin, des mélanges de pois et d’orge pour les chèvres d’un collègue, ou encore des lentilles. Mais l’acquisition des terres agricoles aux « Nima » (non issus du milieu agricole) relève du parcours du combattant. Dans son rapport sur l’état des terres agricoles en France paru en 2022, Terre de Liens souligne que deux-tiers des surfaces libérées par les agriculteur·ices partant en retraite vont à l’agrandissement des fermes déjà existantes, seule une ferme sur trois est transmise*. 

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Le café avalé, nous partons visiter les parcelles. Derrière la cabane à outils, les vestiges d’une motte féodale érigée au XIème siècle. La légende raconte que c’est le frère d’Uther Pendragon, père du roi Arthur, qui aurait fait construire un château sur les reste d’un oppidum romain. On distingue également les traces d’un ancien village à cet endroit, un lieu habité en tout temps. La forêt a repris ses droits par ici, seules les traces de l’ancien lavoir qu’Edouard a restauré nous aiguillent sur le passé de cet espace. Nous cheminons dans le bois, « ici, c’était sans doute un ancien pré-verger » me dit-il au détour d’un arbre. Nous arrivons sur une première parcelle. Un mélange de moutarde brune associée à des lentilles, qui entament leur floraison délicatement rosée. Sur les abords du champ, la moutarde est attaquée par la méligethe, insecte de la famille des coléoptères qui ravage les cultures de brassicacées comme le colza et la moutarde. Un peu plus loin, la moutarde est bien faite, les fleurs se sont déployées et les siliques sont gorgées de futures graines. Lors de sa première année de culture, Edouard n’a pas produit assez de moutarde, deux quintaux à l’hectare. « Le problème des agriculteurs, c’est que dans une carrière complète, tu n’as le droit qu’à quarante essais. Tu ne fais qu’un semi de moutarde par an, qu’un semi de blé. Un menuisier, il peut faire quarante portes par an et les améliorer, reprendre ses assemblages, les performer, en agriculture non. Tu ne sais pas quelle va être la météo, tu décides de tes emblavements* comme ça, mais ensuite c’est d’une année sur l’autre. Je mets en place des stratégies mais ça prend du temps et ça passe vite. Moi j’aurais le droit à une vingtaine d’essais en moutarde, si tout va bien. ». D’ici 2024, il devrait sortir 15 000 pots de moutarde par an, pour l’instant il en est à 8 000 pots.

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Au loin, on aperçoit les bouleaux et l’environnement forestier dense qui entoure les champs. Nous nous dirigeons vers une autre parcelle située à quelques kilomètres. Des terres qu’il emprunte à un collectif paysan voisin, La Ronce. Sur place, les fleurs de moutardes blondes sont éclatantes de beauté. Edouard sourit à mesure qu’il avance dans le champ de 6 000m2 : la plante est belle, peu colonisée par les ravageurs, ça promet de belles récoltes. Mais il ne s’emballe pas, « l’an dernier, il y a eu cette phase là, et après j’ai eu un vol de tenthrèdes, c’est un insecte que je ne connaissais pas non plus. C’est une sorte de mouche mole qu’on appelle mouche à dents de scie ». Sa particularité ? Pondre dans les fleurs. Les larves, quand elles éclosent mangent tout, de la fleur à la feuille en passant par les gaines. Je décide de photographier Edouard dans ce champ couleur soleil. Autour de nous ça bourdonne de partout, le paysan est heureux. « C’est cool, elles bossent pour moi les abeilles là ! » s’exclame-t-il. Tandis que je m’accroupis entre les rangs floraux pour le photographier, Edouard décèle quelques larves de tenthrède. Pour l’instant il y en a peu, « Là il y en a deux, on est pas du tout au stade invasif. J’ai appris un truc dans l’agriculture biologique : tu ne luttes pas contre un invasif, tu limites la pression. Tu vois la subtilité ? » Il me raconte ses journées de l’an dernier passées à récolter les insectes avec un saladier pour les écraser. Il ne traite pas ses champs, y apporte seulement un peu de calcaire pour améliorer la minéralisation et rehausser le PH du sol. Les fleurs jaunes et volubiles à l’odeur similaire au colza dansent dans les champs, les papillons qui s’y posent également. Une heureuse chorégraphie à observer. Plus loin, une ancienne serre avec un cœur creusé dans la poussière ainsi qu’une cabine téléphonique servant de cabane à outils ferment la parcelle moutardée, avant une strate d’arbres verts, des couleurs complémentaires.

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Edouard prépare également son vinaigre, issu de vins de chez Frédéric Lailler, vigneron BIO implanté dans le vignoble nantais. « Mon objectif c’est de sourcer encore plus proche » me dit celui qui suit de près les projets d’installation viticole en Bretagne. « Ça, c’est un raté valorisé » me dit Edouard, un oubli de souffre sur cette cuvée, de cépage Folle Blanche. Les vinaigres passent deux mois et demi en tonneaux l’été, quatre mois l’hiver. « La fabrication traditionnelle, la méthode d’Orléans avec des tonneaux ventilés, ce n’est quasiment plus fait. Il y a quelques artisans vinaigriers qui font encore des vinaigres en tonneaux en France, mais il y en a très très peu. ». Une pellicule aux airs de toile d’araignée se forme à la surface de la préparation, le vinaigre commence à prendre. « Je suis content parce que quand je vois des petites mouches, c’est bon signe. C’est la mouche du vinaigre ça, ça veut dire qu’il se fait bien ». Pour compléter la recette de moutarde, du sel et de l’huile de tournesol produits par des paysans de la région. Il s’affaire à perfectionner encore sa première recette avant de, peut-être, proposer d’autres moutardes à la vente. 

Je lui demande quel lien il entretient  avec ce lieu. Je sens que la question le gêne « J’ai conscience d’être ultra privilégié en vivant dans l’environnement dans lequel je vis. J’ai très vite détaché tous mes liens avec la ville ». Il ajoute, « C’est un système dynamique dans lequel je suis. J’observe ce que font mes voisins parce que même si ils font de l’agriculture dégueulasse, ce sont aussi des paysans qui savent gérer le paysage, qui savent gérer leurs haies… J’observe ce qui se passe aussi sur mon terrain, comment la forêt avance, quelles actions je veux faire, ou pas d’action justement ». Une balance à trouver pour le jeune agriculteur.

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L’ambition des Clairières d’Uther ? Apporter une pierre à la re-localisation d’une filière moutarde ayant perdu les racines qu’elle avait profondément ancrées en France avant le remembrement et les réformes de la PAC. Avant les années soixante et l’industrialisation des pratiques agricoles, avant que le paysan ne devienne un exploitant. Fleuron de certaines villes françaises qui, sous couvert de marketing labellisé produit de terroir, ne sont désormais plus que transformatrices d’une graine produite à grands renfort d’engrais chimiques à l’autre bout du monde. 
 

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*https://ressources.terredeliens.org/les-ressources/etat-des-terres-agricoles-en-france page 40, Accès à la terre : un frein au renouvellement des générations

 

*action d’ensemencer une terre agricole.

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