L’Alouette Rit, redonner vie à l’histoire maraîchère de Nantes.
La semaison, c’est la dispersion naturelle des graines d’une plante, c’est la contraction des mots semer et saison. SEMAISON, ce sont des milliers de graines cachées dans la terre qui n’attendent que le climax propice pour germer, c’est une plante qui émerge des fissures du béton sur un trottoir en ville. C’est semer des histoires inspirantes au fil des saisons. Des récits de vies paysannes, aux côtés de celles et ceux qui s’engagent pour un quotidien plus durable et désirable.
Aussi loin que l’on puisse remonter dans les archives, les quartiers est de la ville de Nantes ont connu une longue tradition vivrière, perdue dans les années 1980 au profit de l’étalement urbain de la métropole. Depuis quelques années, cinq maraîchers renouent avec ce passé historique du quartier Doulon, faisant revivre les traditions agricoles de la ville. L’Alouette Rit est l’une des quatre exploitations s’inscrivant dans le projet de rénovation de ce quartier.
C’est sur les bords de l’Erdre, rivière affluente de la Loire, que Clément Amour et Simon Prévost se sont rencontrés dans une association de protection de l’environnement et de la biodiversité des zones humides. Après un passage au service environnement et espaces verts, le duo entend parler du projet de revalorisation de l’agro-quartier ZAC Doulon-Gohards à Nantes : 180 hectares en rénovation, dont 100 hectares d’espaces naturels protégés et 15 hectares dédiés à l’agriculture, avec la remise en activité de quatre fermes pour faire revivre le patrimoine historique du quartier. "Doulon, c’est le berceau du maraîchage nantais, qui était basé à l’époque sur des méthodes respectueuses de l’environnement, de petites surfaces, et un travail manuel", explique Simon. Jusqu’au XIXe siècle, terres labourables, prairies et vignes dessinaient le paysage. En 1840, le quartier connaît un tournant agricole lié à l’accroissement de la population. Les "laboureurs" laissent alors la place aux maraîchers, afin d’approvisionner en légumes les Nantais. Une tradition vivrière disparue dans les années 1980 au profit des promoteurs immobiliers qui rachètent les fermes. De ce passé, il reste des murs en pierre et quelques terres en friche que la ville n’a pas englouties sous le béton.
La ferme de La Louëtrie renaît en 2021, sous le nom de L’Alouette Rit, clin d’œil phonétique à son origine. Une ferme maraîchère en agriculture biologique créée par Clément et Simon : "On voulait travailler tous les deux sur le terrain, les mains dans la terre, comme on dit, être au contact de la nature tout le temps. On a hybridé nos expériences de protection de l’environnement et de création d’espaces verts et on les a associées au maraîchage". Depuis peu, le lieu a été entièrement repris par Simon et les légumes de L’Alouette Rit continuent de s’enraciner dans les paniers de courses des Nantais.
La ferme s’étend sur 1,5 hectare. Nous traversons les parcelles extérieures, en pleine transition vers l’été, pour atteindre la serre de 2 500 m2. Dehors, de jeunes courges et des salades sont installées, ponctuées de bandes fleuries dans lesquelles on entend bourdonner même en cette journée grisâtre. Des coquelicots et des fleurs de phacélie colorent les rangs. Dans la serre, la pépinière regorge de plants de légumes et d’aromatiques en tout genre en ce début mai. Sur un panneau est écrit L’Alouette Rit, ferme vivante. Simon nous explique : elle est “vivante” grâce au travail réalisé sur la qualité du sol. "On ne se voyait pas suivre un modèle d’agriculture urbaine hors-sol." Cela passe notamment par les espaces avoisinant la ferme. "On travaille avec les aménageurs et la collectivité pour garder un quartier vivant, dans une continuité écologique [avec l’activité menée sur la ferme, NDLR]. On a des ruisseaux à proximité, des haies, des boisements, donc on essaye de créer un maillage vert entre les différentes fermes." Le duo a également soigné le design des parcelles : "Cela nous permet d’être plus résilients sur notre projet agricole et surtout de nous affranchir de plein de produits qui sont autorisés en bio mais dont on se passe, nous, volontiers". Comment cela se traduit-il ? "On a aménagé notre parcelle pour nous permettre d’accueillir la faune et la flore sauvages : il y a des grenouilles, des rapaces, des oiseaux qui nichent. On a également pour projet d’installer une mare."
Les parcelles n’ayant pas été cultivées pendant plus de vingt ans, des contrôles rigoureux ont été réalisés pour s’assurer que ces sols urbains soient suffisamment sains pour accueillir des denrées alimentaires, point sensible des cultures en ville devant s’installer sur des espaces maltraités, aux sols régulièrement pollués. Ici, l’enfrichement des lieux a permis de fracturer et de structurer les sols, avant des travaux pour décompacter la terre et quelques cycles d’engrais verts. Chaque saison, des apports importants de matière organique sont effectués pour nourrir cette terre qui contient plus de 80 % de sable et peine donc à retenir l’eau, déjà déficitaire en ce milieu de printemps. "Il faut qu’on bichonne encore un peu le sol et on espère que dans 5, 6, 10 ans, on arrivera à avoir quelque chose d’à peu près sympa."
Nous cheminons dans la serre. Entre les effluves d’aneth et de thym, les plants de tomates se parent de leurs premiers fruits rougissants à mesure que les capucines voisines fleurissent. Reprenant des techniques de maraîchage nantaises et parisiennes, tout est ici optimisé, planté serré et de manière très précise afin d’obtenir un bon rendement sur un minimum de surface. Un peu plus loin, Clément récolte les petits pois. Nous nous faufilons dans les rangs aux airs de jungle, ponctués par les fleurs des petits pois. Nous goûtons les deux variétés cultivées sur la ferme. Si les pois aux cosses violettes sont impressionnants par leur couleur éclatante, les verts sont assurément plus sucrés : des bonbons à manger crus tout juste cueillis. Sur les rangs voisins s’épanouissent des calendulas, des choux pak-choï, des mélanges de salades mais aussi les toutes premières courgettes qui ont déployé leurs fleurs jaunes et duveteuses.
Le terme “ferme vivante” n’a décidément pas été choisi au hasard. Il évoque aussi tous les liens qui se tissent à L’Alouette Rit pour créer un lieu de rencontre. C’est non seulement une ferme pédagogique, à travers l’accueil du public et d’écoliers, mais également un espace de formation professionnelle, auprès des services de la Ville de Nantes et via l’accueil de stagiaires à la ferme. Sans oublier les discussions informelles qui surviennent lors de ventes à la ferme, comme avec ces clientes d’un âge avancé qui ont connu le Vieux Doulon maraîcher pré-années 1980 et qui en narrent les histoires à Simon. "J’aime beaucoup les petites mamies qui viennent à la vente à la ferme, qui habitent dans les rues adjacentes, et qui ont connu les maraîchers. Elles racontent l’histoire de ce qui se passait et voient, vingt ans après, revivre [la ferme] avec des jeunes."
Ce qui se joue sur les parcelles de La Louëtrie, comme le dit Simon, "c’est plus fort que juste faire pousser des légumes". Un lieu militant, qui tend à montrer qu’on peut travailler sur l’autonomie alimentaire des villes, si on décide de laisser des zones dépourvues de béton et protégées de toute spéculation immobilière. "Alors qu’on était dans un quartier assez peu aménagé, assez vert, avec une densité de population assez faible, on sent désormais que la ville vient se coller peu à peu à nous. Il faut qu’on reste militants, fidèles à nos valeurs, et surtout qu’on fasse passer un message fort : il est possible de garder ne serait-ce qu’un hectare, 5 000 m2 sur des projets d’aménagement urbain et produire en pleine terre des légumes de qualité à destination du quartier. Même si on sait qu’on ne nourrira pas toute la ville de Nantes, si on peut approvisionner la centaine de familles qui habite à côté, plus quelques restaurants et pourquoi pas la crèche qui est en projet, c’est quand même chouette."
Le maraîcher crée des passerelles entre agriculture et vie urbaine, entre sensibilisation à l’environnement et gourmandise. Un lieu nourricier, vivant, qui renoue avec le passé vivrier de ce quartier nantais.