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Agricoulis: châtaignes et feu de bois dans les Cévennes.

 La semaison, c’est la dispersion naturelle des graines d’une plante, c’est la contraction des mots semer et saison. SEMAISON, ce sont des milliers de graines cachées dans la terre qui n’attendent que le climax propice pour germer, c’est une plante qui émerge des fissures du béton sur un trottoir en ville. C’est semer des histoires inspirantes au fil des saisons. Des récits de vies paysannes, aux côtés de celles et ceux qui s’engagent pour un quotidien plus durable et désirable. 
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20 octobre 2020, dans le train Clermont-Ferrand/Nîmes. Ce voyage vaut le coup rien que pour les paysages: plus on descend vers le sud, plus les montagnes et la végétation s’emparent de la vue. De rares villages aux maisons en pierre ponctuent le tableau. Après douze heures de voyage au départ de Nantes, je m’arrête à la gare de Genolhac. J’y retrouve Delphine qui m’emmène dans les montagnes Cévenoles, après m’être interrogée sur les décorations d’Halloween douteuses du café de la gare: un squelette animé aux yeux verts qui semble faire tomber du balcon une poupée, seul point lumineux dans cette nuit pluvieuse.

Delphine et ses collègues de l’association Agricoulis cultivent des arbres aux fruits hautement appréciés et réconfortants une fois la fraîcheur automnale venue, une culture bien de saison qui possèdera bientôt une AOP dans les Cévennes: Le châtaignier, dont ils récoltent les fruits à l’automne pour les transformer en délicieuse crème de châtaigne bio, en marrons au naturel et autres « délice de châtaigne ».

J’étais déjà passée par Coulis, hameau de la commune de Bonneveaux perdu dans la montagne, l’an dernier pour la cueillette des petits fruits et des plantes à tisanes avec Agricoulis. Seules quelques maisons en pierre, pour la plupart en ruines, dessinent ce qui reste du village. Quelques résidences secondaires souvent délaissées par leurs propriétaires font face à un paysage qui en ferait rêver plus d’un. En déambulant dans les ruelles, je me demande comment c’était avant, quand ça vivait pleinement ici. Quelques plantes à bulbe dans les jardins en escaliers témoignent de cette vie passée, délaissée pour des lieux surement plus accessibles, et

pour cause, l’accès au hameau ne se fait que par piste. Face au village, la forêt aux tons orangés danse avec le murmure du vent, le bruit des ruisseaux s’écoulant de la montagnes semble accompagner le ballet automnal, ponctué par la chute de quelques bogues de châtaignes.

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La châtaigneraie a été préparée en amont par les castanéiculteurs afin de la rendre plus accessible: elle est débroussaillée et des filets sont installés par endroits pour faciliter la récolte des précieuses châtaignes. Le matin, nous partons à quatre. On grimpe dans la châtaigneraie et on avance en ligne pour une récolte à la main. Nos seaux qui se remplissent au fil des montées. Certains de ces arbres ont été plantés il y a environ deux-cent ans, quand la forêt était encore habitée, avant qu’elle ne se transforme en parc national.
On secoue les filets pour faire tomber les dernière châtaignes au fond, les bogues remontent à la surface, on les jette derrière nous pour récupérer les fruits. Toutes les parcelles n’en sont pas encore équipées, parfois trop escarpées et surtout, un investissement fait avec les années (je suis tombée trois fois les dans les bogues qu’on avait jeté vers le bas, c’est en tombant qu’on apprend paraît-il).
Au fil des jours, j’apprends à distinguer les différentes variétés de châtaignes, On me les fait goûter crues, pour sentir la différence de texture (la teneur en amidon) et de sucre entre les fruits. Leurs robes passent du noisette au brun, avec des stries plus ou moins apparentes, en forme de goutte comme les Aguyanes, variété du sud de l’Ardèche. Les bogues s’ouvrent à nous avec élégance, tels des rosiers dont les apparentes épines renferment une grande douceur.

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Après une journée de récolte, des épines plein les mains, on se retrouve au coin du feu, on cuisine, on fait des jeux de société. Dans les montagnes préservées, la ligne téléphonique n’est pas encore passée. On retrouve sens à être pleinement ici et maintenant dans cette vieille maison en pierre. Dehors je croise Idole, vieille jument Selle Français à moitié aveugle, ancien cheval de course promis à l’abattoir, sauvée par l’association, qui coule des jours heureux en quasi liberté dans la forêt avec Maïs, une mule qui la guide dans ses pas. J’étais d’ailleurs étonnée de la revoir ici. Quand j’étais venue l’an dernier, la pauvre ne voyant pas s’était pris une branche dans l’oeil, on ne savait

pas si elle guérirait... Comme quoi la nature et les châtaignes, ça préserve.

Je rentre dans ma chambre à la lampe frontale. Dans la forêt je serpente entre les rochers, j’y croise des salamandres qui se délectent de l’humidité de ces derniers jours. J’enjambe les cours d’eau qui débordent en cascade sur le chemin, la faute aux épisodes Cévenoles. Le plus risqué ici, c’est qu’une bogue nous tombe sur la tête ou de croiser un sanglier. Je m’endors avec l’odeur du feu de bois dans les narines, encore un goût de crème de marrons sur la langue, lovée dans ma couette en écoutant le froissement des feuilles au sol: la vie nocturne de la forêt. La récolte se termine, Il va bientôt falloir repartir, reprendre le chemin en sens inverse. Remonter la piste, dire au revoir aux êtres qui peuplent la forêt, inspirer un grand coup les effluves des montagnes avant de remettre le nez dans les odeur de la ville.

Pour Agricoulis, il reste plusieurs semaines de tri, d’épluchage et de transformation des châtaignes avant d’obtenir un produit fini qui sera vendu en circuits courts.

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