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Complemen'Terre, le bon sens paysan à la vigne.

 La semaison, c’est la dispersion naturelle des graines d’une plante, c’est la contraction des mots semer et saison. SEMAISON, ce sont des milliers de graines cachées dans la terre qui n’attendent que le climax propice pour germer, c’est une plante qui émerge des fissures du béton sur un trottoir en ville. C’est semer des histoires inspirantes au fil des saisons. Des récits de vies paysannes, aux côtés de celles et ceux qui s’engagent pour un quotidien plus durable et désirable. 
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Sur la commune de la Haye-Fouassiere, implantée dans le vignoble nantais, Marion Pescheux et Manuel Landron, produisent depuis dix ans du vin nature sous le nom Complémen’Terre. Paysan·nes avant d’être vigneron·nes, iels comptent une dizaine de cuvées travaillées en parcellaire pour faire parler le terroir, des sols composés d’une majorité d’Orthogneiss avec une faille d’Amphibolite, au pays du muscadet. 

 

Les températures avoisinent les 28 degrés tandis que la vigne se pare de couleurs dorées. Dans le ciel, le soleil baisse au fil des jours, allongeant au sol l’ombre des sarments de vigne. Pas de doute, malgré ce troublant été tardif, nous sommes bien en automne. Les vendanges ont commencé début septembre chez Complemen’Terre. Ne reste plus, à la fin du mois, que la récolte des rouges, du Cabernet Franc, qui compose le Mamma’s Red. « Cette année ça s’est plutôt bien passé en cave. Les blancs sont finis, les pétillants blancs sont en bouteille. Là on est sur les rouges, ça va être suivi quotidien, travail matin et soir sur les rouges, et puis faire les sélections de temporalité. » me dit Manuel. 26 septembre, c’est le dernier jour de vendanges. Quand j’arrive, ça chante « joyeux anniversaire » avec entrain, je ne sais pas si c’est pour quelqu’un ou pour célébrer l’entreprise qui fête ses dix ans cette année. À neuf heures, l’équipe se scinde en deux. Les premiers partent avec Marion récolter une parcelle qui sera à terme replantée, composée de raisins hybrides dont est extrait un jus de raisin pour les enfants. Les ronces se sont invitées en début de rang et rendent la récolte plus délicate pour les mains. Marion me dit que c’est un jour de vendanges familiales, ses parents et son frère sont venus

prêter main forte aux vendangeur·euses pour quelques jours. L’autre équipe suit Manuel, direction les Cabernets. Manuel, c’est le fils de Jo Landron, figure incontournable du vin nature dans le vignoble Nantais, alors le raisin, il a grandi dedans.
 Manuel aurait pu reprendre le domaine familial mais décide de partir avec Marion, alors étudiante en histoire, quelques années en Nouvelle-Zélande, au Chilli, puis en Touraine pour s’ouvrir à d’autres manières de travailler la vigne. « En Nouvelle Zélande, on ne travaillait que dans la vigne, au Chili ce n’était que de la vinification. On était dans un cave avec un français qui vinifie du vin là bas. Il achète aux paysans qui, eux, font pousser le raisin et nous on faisait tout ce qui était transformation. C’était une super expérience parce qu’en plus on vinifiait dans des trucs improbables, des chais ouverts, avec les moyens du bord. Ça t’apprends aussi à faire propre avec peu, c’est plutôt formateur » me dit Marion. Finalement, c’est la Loire et son terroir entre terre et mer qui les rattrapent, ligériens dans l’âme.

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Les caisses grises et rouges s’étendent dans les rangs, suivant la butte du massif armoricain. Le soleil perce dans les nuages et vient éclairer les ceps à travers les bosquets environnants. « Là où il y a le rouge, il y a une grosse percée de quartz, on les voit qui affleurent sur le haut. C’est ça qui donne des vins hyper minéraux et tendus ». Vendangette à la main, tout le monde s’affaire, le bal est lancé, l’ambiance est rieuse. Iels sont une dizaine à vendanger la parcelle, des jeunes novices et d’autres avertis à l’activité phare des fins d’été dans le vignoble nantais. On me dit que j’aurais du venir la veille pour les photos, les raisins y étaient plus beaux. Certains sont encore perlés de rosée matinale, ça vient humidifier les mains et les vêtements.
La récolte, c’est Marion qui m’en parle « Le mode de récolte fait que les vins sont assez propres parce que c’est en caisse. Tu n’as pas de trituration, on a le raisin qui passe du cep au pressoir. Ce n’est pas toujours pratique parce que ça demande de la manutention, et à la fois il y a une précision dans les vins qui est liée à ça ». Marion et Manuel travaillent en biodynamie, sans revendiquer une quelconque appartenance au label Demeter, juste du bon sens paysan « la biodynamie, en viticulture, il y a un côté entre-soi qui nous dérange un peu. On a envie d’apprendre des autres ». Marion m’explique qu’elle aurait tout aussi bien pu produire des pommes, ce qui l’intéresse c’est le rythme des saisons et le respect de la sensibilité des végétaux. « Plus on avance, plus je me rends compte qu’on a sous les yeux ce qui est utile pour la plante. On fait des traitements de tisane d’ortie, la plante elle en a besoin quand les orties sortent. Après elle n’a plus besoin d’orties, elle a besoin d’Achillée et c’est le moment où elle sort. Tu trouves sous la main les bons trucs pour soulager la plante. ».

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Le couple a choisi Nature & Progrès, label qui leur permet d’échanger avec des agriculteur·ices d’autres secteurs, et de raisonner à l’échelle d’un territoire. Manuel explique « Chez Nature & Progrès on a quand même réussi, finalement, à se retrouver avec certains vignerons, mais aussi avec d’autres agriculteurs avec une philosophie commune qu’on arrive pas forcément à trouver dans notre profession. Il y a ça aussi qui est important : croiser un maraîcher, un éleveur, c’est un paysan. Je pense qu’il y a le sens paysan qui est perdu. […]  Il y a encore des vaches dans le secteur, il y a un chevrier, au fur et à mesure ce serait bien qu’il y ait un maraîcher qui s’installe. Et là, on pourrait avoir une démarche plus agronomique au sens écosystème et pas que agrosystème ».  Selon elleux, la valeur ajoutée et le prestige donné aux vins éloigne les vigneron·nes des autres secteurs qui travaillent la terre. Marion ajoute « Il y a une espèce de magie dans le vin. Je ne sais pas pourquoi les gens ont ce truc là. Ils ne vont pas s’extasier devant un légume alors que c’est pourtant autant de travail et de minutie, et encore plus parce que tu nourris les gens. J’ai une grande admiration pour tout ce qui est maraîchage, on fait autant que le maraîcher, sauf que le maraîcher il ne presse pas son aubergine pour faire du vin et ça vend moins du rêve. ». 
C’est l’heure du casse-croûte, tout le monde se rejoint près du camion pour avaler son sandwich. On me propose du vin, il est dix heures trente, je refuse, privilégiant un verre de jus de raisin. Ça les fait rire, Marion et Manuel. Iels me disent que les deux ou trois premiers jours, les gens qui arrivent en vendange refusent de boire du vin le matin, puis après iels s’acclimatent … Le tire bouchon monté sur un ancien cep, la bouteille est débouchée, rapidement vidée, le jus de raisin aussi. Autour de nous, Salsa, une chienne Border Collie cherche une bonne âme pour jouer avec elle et lui lancer un caillou. 

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Manuel n’ouvre pas les portes de la cave à tout le monde, c’est un peu sa chambre à lui, ça raconte leur histoire, leur lien organique à ce terroir dominé par l’orthogneiss. Et puis il faut les respecter, les cuvées. Je lui demande de me parler d’un cépage en particulier, c’est la folle blanche qui ressort. « C’est un cépage qui a été décrié, qui revient en force et qui a toutes ses lettres. On parlait de réchauffement climatique : c’est un cépage qui a beaucoup d’acidité, qui avait tendance à pourrir rapidement parce qu’avec les grandes marées, les pluies rentraient en septembre. La folle blanche ne mûrit pas en même temps que le melon de Bourgogne donc à peine mûr, ça pourrissait. Aujourd’hui ça prend plus d’élégance parce que, justement, avec le réchauffement climatique, ça garde de l’acidité alors que les melons, ça en a moins. ».  

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Il poursuit « ça fait de très beaux jus, ça produit, donc c’est intéressant. C’est très gouleyant, facile à boire. Le rendu qu’il y a en qualité, en quantité, c’est vendangé à la main, c’est un vin qui économiquement est intéressant et qui peut rester à un prix accessible aussi. On a pas besoin de vendre une folle blanche cinquante balles. On peut la garder à dix, douze euros en cave, parce que c’est BIO et nature, il n’y a pas beaucoup de vins qui ont ça.». L’égrappoir s’arrête. Deux jeunes vendangeuses s’essayent à casser les raisins à jus avec les pieds. La peau des raisins hybrides est trop dure pour passer à la presse directement. Deux bassines installées dans le hangar, elles s’activent un pied après l’autre pour percer les raisins. L’activité possède une photogénie indéniable, les pieds tachés d’une couleur violacée montent et descendent dans la bouillie que forment les raisins. 

La journée se termine, les vendanges aussi. Manuel me dit que le challenge quand on fait du vin nature, c’est de réussir, pour que d’autres s’y mettent également. « À une génération d’écart, on pouvait compter un vigneron [nature] par appellation, par région viticole. Aujourd’hui, on en compte un par village ». Bientôt, il faudra retourner dans les vignes pour tailler, arracher, re-palisser et puis mettre en bouteille, 30 000 par an, pour reprendre la commercialisation. Entre les deux, Marion et Manuel vont aussi se reposer, profiter de leurs enfants car iels le rappellent « C’est un métier, c’est pas une vie, vigneron ».

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